El Bulli: Cooking in Progress
la dissection morne d'un magicien
J’étais impatient de voir le documentaire « El Bulli: Cooking in Progress » du réalisateur allemand Gereon Wetzel. J’ai toujours été fasciné par « l’homme qui a tout changé », et ai même tenté deux années consécutives de réserver dans son restaurant mythique… en vain est-il vraiment utile de le préciser. Je m’intéresse beaucoup à la cuisine de Ferran Adrià, et je pensais que ce film m’éclairerait d’avantage sur sa pensée, sa créativité, son univers…
Il ne le fit pas.
On en apprend plus sur El Bulli en regardant les deux épisodes de l’émission No Reservations, présentée par Anthony Bourdain, qu’avec ce film. Le réalisateur semble pourtant tout nous exposer de la création des plats jusqu’à leur service, en passant par l’expérimentation. Tout est filmé de manière très sobre et minimaliste, nous ne sommes que des passants observant l’orchestre à travers une fenêtre. Pourquoi pas ?
Mais au lieu de nous faire vivre l’aspect émotionnel de la création d’un plat, le bouillonnement cérébral en action, ce documentaire nous montre une bande de sous-chefs terrorisés par Adrià, essayant de trouver des plats originaux de manière stupide et laborieuse. Une fois les différents essais présentés au maître, les petits écureuils frémissant d’inquiétude attendent la sentence du big boss qui se soucie d’avantage de son iPod que de ce qu’il a dans le gosier.
Où est le Ferran Adrià qui parle de ses plats et de ses découvertes avec des yeux pétillants comme un enfant ? Est-il vraiment aussi blasé, aussi gris que ce qu’on voit dans ce film ? Peut-être… peut-être que tous ces autres documentaires, émissions de télé et conférences sont une fabrication, un leurre, une version populaire de Ferran créée de toute pièce, mais j’ai peine à le croire.
Je pense que le réalisateur a volontairement choisi de s’attarder sur la hiérarchie, la relation militaire entre les chefs et les cuisiniers, pour nous montrer un organisme froid, strict, où la peur règne et plus horrible encore… où la gastronomie est prise avec un sérieux mortuaire.
Gereon Wetzel a admis dans une interview n’être jamais allé dans un restaurant de haute gastronomie auparavant, et ne s’être même jamais vraiment intéressé à la nourriture en général. C’est peut-être pour ça qu’il a raté le coche. Il a raté l’idée avec laquelle Anthony Bourdain nous gave violemment, il faut bien l’admettre, dans son émission. Mais au moins Anthony a compris.
Ce qui compte c’est l’émotion, les souvenirs d’enfance de fumets dans la cuisine, de nouvelles saveurs dans le palais. Ce qui compte c’est la magie, pas la magie saugrenue qui chatouille nos doigts de pieds mais la magie fantastique qui nous chatouille les tripes, qui nous chatouille l’âme. El Bulli a toujours cherché à créer une expérience intime, à bouleverser par les sens. Contrairement à de nombreux suiveurs du courant moderniste, initié par Adrià, le spectacle n’est pas une fin en soi, le feu d’artifice n’a de sens que s’il éveille quelque chose de plus intense, de plus profond.
Je n’ai pas aimé ce film, non pas car j’en savais déjà trop sur El Bulli et Ferran Adrià, mais parce qu’il est long, ennuyeux, et qu’il ne se focalise sur rien d’intéressant ou significatif.
La plus belle partie du film est la fin, lorsque nous sommes témoins des photographies de chaque plat du menu. Ces photos sont magnifiques, les couleurs parlent, les textures craquellent l’écran, et surtout ces photos en disent plus sur El Bulli que les deux heures qui ont précédées…
El Bulli le restaurant n’est plus (il rouvrira sous la forme d’une fondation en 2014), et ce film aurait du être le témoignage final de ce lieu unique qui a marqué à jamais le monde de la gastronomie… que c’est triste.
El Bulli: Cooking in Progress (2011)
réalisé par Gereon Wetzel
écrit par Gereon Wetzel et Anna Gnesti Rosell
avec : Ferran Adrià, Oriol Castro et Eduard Xatruch.
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