David Toutain

épure boisée

David Toutain

Il est tellement facile de se perdre… Pendant qu’une cuisine se complexifie jusqu’à l’extrême, une autre, sous prétexte de naturel, se simplifie à l’ennui.

Pourtant le raffinement n’est pas l’ennemi du brut, et la richesse n’est pas forcément synonyme de baroque… David Toutain semble bien l’avoir compris. Cet ancien chef du restaurant Agapé Substance, qui était auparavant passé par les maisons de Bernard Loiseau, Marc Veyrat, Alain Passard, Luis Aduriz (Mugaritz), vient d’ouvrir un lieu paisible, aux couleurs boisées, où la porcelaine fine et éclatante se mêle au rugueux du grès, et où les plats d’une rare complexité se livrent à nous comme des évidences.

David Toutain

Dès notre arrivée on respire ; les tables sont espacées, l’éclairage est agréable, et le décor à la fois sobre et légèrement déglingué nous met à l’aise. Le service est attentionné sans en faire trop, tout ce qu’on lui demande.

Trois choix s’offrent à nous : le menu Polypode vendu par le maître d’hôtel comme étant « pour les petites faims ou si vous êtes pressés », la Reine des Prés ou « le menu dégustation de David » et enfin un menu Truffe de saison. C’est donc les yeux fermés que nous nous sommes livrés aux mains de David… pardon, de Chef Toutain, et que Mme. Tilash et moi avons opté pour la Reine des Prés.

David Toutain - Salsifis, crème de panais au chocolat blanc

Salsifis – crème de panais au chocolat blanc
Je n’ai pas entendu l’intitulé de ce plat, je n’ai donc pas pu faire la grimace que vous venez de faire, ni lever le sourcil avec un sourire incrédule. Non, j’ai foncé tête baissée dans le croquant de ce salsifis, et sa crème à peine sucrée, douce et enveloppante. Ensuite, j’ai demandé de quoi il s’agissait. Et là, j’ai levé le sourcil avec un sourire confiant et rassuré.

David Toutain - Chips de lard

Chips de lard – purée fumée
C’est sûr que « chips de lard » ça sonne mieux que « couenne de porc frite », pourtant le goût est le même, et ce goût là, mes amis, il n’est pas du genre à se la jouer « Excusez-moi, Monsieur », « Mais je vous en prie… ». Craquant violemment sous la dent, à la fois suave et salé, ce chicharrón comme on les appelle de l’autre côté des Pyrénées, avait tout le caractère qui le caractérise. La purée ? Oui, oui, très bonne la purée.

David Toutain - Croque monsieur

« Croque monsieur »
Cette petite tranche de croque monsieur était bien étrange car elle avait un goût de croque monsieur. Pourtant, constitué d’anguille, de parmesan et d’oignon des Cévennes, on se serait attendu à un réveil plus brutal. Transformer ce sandwich familier sans perdre ce qui fait sa particularité est donc un tour de force, mais on a tout de même la sensation que ça n’en valait peut-être pas la peine… heureusement, un excellent beurre à la noisette s’immisçait discrètement dans l’affaire, et élevait le plat avec sa valse langoureuse.

David Toutain - Fenouil marin

David Toutain - Fenouil marin, coques et couteaux

Fenouil marin – coques et couteaux
Dans le bol, quelques morceaux de coques et couteaux, à peine pochés, et une poudre verte glacée que le serveur nous proposa de goûter avant qu’il ne rajoute le bouillon. Cette poudre de « fenouil marin » (qu’on nous apporta aussi, afin de nous éduquer, sous sa forme naturelle, chose appréciable) était acidulée, végétale et légèrement douce. Pas une once de saveur anisée ne justifiait selon moi l’usage du nom « fenouil », mais je ne suis pas là pour réviser l’Encyclopaedia Botanica. Le bouillon fait à partir des coquillages sus-cités délayait le tout dans un chaud-froid qui devint malheureusement vite un tiède-froid, puis un froid-froid… Si je n’ai rien à redire sur la conception gustative de ce plat, sa température pourrait être ajustée.

David Toutain - Mousse de speck, velouté de potiron

Mousse de speck – velouté de potiron
Avec chaque plat le contenant et les couverts changeaient, et pour celui-ci on nous apporta une fourchette et une cuillère à soupe dont la forme particulière était quasiment plate. Ce velouté et mousse étaient servis dans un bol assez étroit, et… comment dire…? Je n’ai aucune idée de la façon avec laquelle nous étions supposés manger cette affaire. Alors après avoir gentiment fait joujou avec la cuillère, approuvé du bout des lèvres l’intensité fulgurante de cette mousse de jambon fumé magnifiquement accordée à la douceur du potiron ; Mme. Tilash et moi avons levé nos bols sous le regard ébahi de l’assemblée, et dans un silence clérical avons terminé son contenu à pleines gorgées. Les belles céramiques furent reposées sur la table suivi d’un « aaaaah » sourd, et les discussions purent reprendre leur cours, la chorégraphie des serveurs poursuivre le ballet.

David Toutain - Œuf mollet basse température, crème de maïs et caramel au cumin

Œuf mollet – crème de maïs – caramel au cumin
La cuisson parfaite de l’œuf à basse température (mon p’tit doigt me dit 63°C…) permet d’obtenir un jaune coulant comme une crème anglaise, un blanc onctueux et à peine gélifier : la sensualité faite nourriture. Rehaussé subtilement par la crème de maïs et les traits de caramel au cumin, cet œuf était de ceux qu’on mange les yeux fermés, en espérant que personne ne nous regarde à ce moment là.

David Toutain - Seiche, dashi yuba, gnocchi d'eau de parmesan

Seiche – dashi « nuba » – gnocchi au parmesan
Une seiche délicate et à peine cuite se prélassait dans un bain de dashi ((bouillon japonais à base de katsuobushi (de la bonite séchée et fermentée) et de kombu (une algue) )) au lait de soja que la serveuse appela « dashi nuba »… soit elle voulait dire « dashi yuba », ce qui signifierait qu’il ne s’agissait pas de lait de soja à proprement parler, mais de la peau qui se forme à la surface du lait de soja quand on le chauffe, soit elle faisait référence à un dashi dansant sur une musique particulièrement endiablée des années 80, mais dans ce cas je préfère ne pas y penser… Pour ponctuer ce plat d’inspiration japonaise, des gnocchi (d’inspiration italienne, donc) à « l’eau de parmesan » étaient parsemés ici et là. Rien à voir avec ce qu’on appelle habituellement des gnocchi, ceux-ci étaient translucides, incroyablement légers et évanescents, et ne contenaient probablement pas la moindre trace de pomme de terre. C’est ici que s’illustre ce que j’ai tenté d’exprimer dans mon introduction ; car derrière la technicité évidente et l’originalité de ce plat, rien ne semblait sortir de l’ordinaire pour mes papilles qui se frottaient avec entrain sur tout ce beau petitmonde comme si elles l’avaient fait toute leur vie.

David Toutain - St. Jacques, choux de Bruxelles, purée de brocolito

St. Jacques – choux de Bruxelles – purée de brocolito – curry de Madras
Mis à part la sauce au curry de Madras qui ressemblait un peu trop à une sauce aigre-douce chinoise (non que cela soit une tare en soit), le reste était simplement parfaitement cuit, assaisonné, et bon. Je sais que le terme « bon » ne devrait pas apparaitre dans une critique culinaire, car « bon » pour l’un n’est pas « bon » pour l’autre, et que je suis censé vous décrire du mieux que je le peux les raisons pour lesquelles j’apprécie ou non un plat, mais parfois il n’y a pas de swing, pas d’accessoire en diamant, rien à dire à part « oui s’il vous plait » lorsqu’on vous en propose une seconde ration. Dans ce genre de restaurants, on ne propose pas de seconde ration… dommage !

David Toutain - Anguille fumée, crème de sésame noir

Anguille fumée – crème de sésame noir
Là par contre, c’est une autre histoire… parce que du swing comme ça on n’en croise pas tous les jours ! Dans cette crème à la dénomination modeste se cachait des petits morceaux de pomme croquante à l’acidité pétillante, et surtout après négociation avec la serveuse, j’ai réussi à obtenir l’information capitale : du foie de lotte liait le tout de ses arômes complexes, floraux, terreux. Ce foie gras de la mer, comme l’appellent certains, enivrait le tout de sa baguette magique pour mieux élever l’anguille, à la chair tendre et moelleuse, au goût fumé subtil et humble… Un plat d’un autre monde.

David Toutain - Lapin, carottes

Lapin – carottes
Ce plat techniquement impeccable ne commit aucune faute… mais que voulez-vous, il fallait bien que quelqu’un passe après l’anguille. Alors oui, pas mal.

David Toutain - Mont d'or

Mont d’Or
Un Mont d’Or français (au lait cru contrairement à son homologue Suisse), bien affiné, servi à la petite cuillère, en provenance du fromager Antony (à Vieux-Ferrette, en Alsace). Dès son passage plusieurs gentes dames s’évanouirent, un garçon rivé sur son iPad se rechaussa discrètement, et des chiens commencèrent à aboyer dans la rue voisine. L’art de la gastronomie est vraiment magnifique lorsqu’une pourriture bactériologique aussi vile que ce fromage se trouve être une fleur, que dis-je, mille fleurs, une drogue, un poème.

David Toutain - Glace de chocolat blanc, crème de coco, mousse de choux-fleur

David Toutain - Glace de topinambour, topinambour praliné

David Toutain - Céleri

Desserts
Bien que trois desserts distincts nous ont été servi, ils m’ont tous, à peu de choses près, donné la même impression. La glace de chocolat blanc à la mousse de chou-fleur et crème de coco était… intéressante… La glace de topinambour avec topinambour praliné était également plutôt intéressante… Le céleri lui, avec ses différentes textures sucrées, caramélisées, crémeuses, croquantes, sortait légèrement du lot, car le légume intrus apparaissait d’avantage comme un assaisonnement que comme le personnage principal. À l’exception de ces deux cubes noirs de céleri, un peu trop gros pour passer inaperçu.
David Toutain tient un filon, mais contrairement à la créativité qui coule de source dans tous ses plats, pour les desserts on sent un peu l’exercice de style. Alors que la maîtrise est là, on aurait aimé voir ce qu’ils auraient donné sans usage de légumes contrariés. Ils auraient été moins mémorables peut-être, mais sans doute plus appréciables.

David Toutain - Café éthiopien, Café Coutume

Pour finir, je pris un excellent café d’Éthiopie, moulu à la demande et torréfié par Coutume (un de ces nouveaux cafés branchouille, comme Ten Belles, qui nous sortent de notre jus de chaussette routinier), et Mme. Tilash dut se contenter d’un thé floral car ils n’avaient pas de tisane, ce qui est une honte astronomique, scandaleuse, et je m’en vais de ce pas porter plainte auprès du Consortium des Bonnes Manières de la Restauration pour que cette infamie ne puisse plus se reproduire ! (j’ai promis à Mme. Tilash que je mentionnerai ce petit fait à mes très chers lecteurs).

Que dire de plus ? Vous l’aurez compris David Toutain m’a charmé, ému. Sa cuisine est impeccable et sincère. Il sait user de techniques modernistes si besoin, mais cela ne passe jamais pour des tours de passe-passe et reste au service de sa maîtrise éveillée des accords de saveurs. Il a soif d’inventer mais cela ne semble pas le mener sur des pentes savonneuses (à l’exception peut-être des desserts), sa vision est claire ; le ciel est dégagé, les arbres chantent, on entend leur sève couler, les feuilles frétiller, une brise fraîche du Nord, et la lame d’un couteau qui s’affute. Il n’y a pas de chemin tracé dans cette forêt élégante, pourtant, quand on voit le chef avancer, il semble flotter sereinement sur une barque à la trajectoire nette.

David Toutain
29, rue Surcouf
75007 Paris, France
Tél. : 01 45 50 11 10
www.davidtoutain.com

Ouvert du lundi au vendredi, de 12h à 14h30, puis de 20h à 22h.

Ce soir, le prix du menu Reine des Prés, avec de l’eau plate (filtrée sur place) et un café, fut de 104€ par personne.