Tampopo

ode au cinéma et au ramen

Tampopo

C’est quand même drôle lorsque le cinéma, art visuel et auditif, s’attaque aux sens qu’il ne peut transmettre que par évocation ou comparaison, le toucher, l’odorat et le goût (je vous épargnerai ici les tentatives en smell-o-vision d’un certain John Waters…). La Fnac n’a, à ma connaissance, pas encore son rayon DVD « Gastronomique » (à classer juste entre les rayons « Érotique » et « Gore ») pourtant un nombre important de films a comme thème central les joies et peines de la création culinaire.

J’ai eu la chance de revoir récemment Tampopo, le film de Jûzô Itami de 1985, cette incroyable déclaration d’amour au cinéma et à la cuisine me parait l’œuvre à point pour inaugurer la section Cinéma Gastronomique de ce blog !

Tampopo

Tampopo est construit sur deux axes montés en parallèle.

Le premier est l’histoire d’une jeune japonaise, Tampopo, qui tient un petit resto à ramen. Son bouillon est fade, ses nouilles manquent de consistance, ses tranches de porc sont trop épaisses, bref son ramen est médiocre. Heureusement, elle va croiser le chemin de Goro, ramenophile averti qui va la guider dans une quête du bol parfait, en chipant la plupart des idées à la concurrence mais aussi en demandant de l’aide à de fins connaisseurs.

La construction de cette aventure est on ne peut plus classique ; l’héroïne, son mentor, les alliés qu’elle va rencontrer au fur et à mesure de son avancée, le parcours semé d’embûches et d’ennemis… Mais si la forme est habituelle, c’est pour mieux nous faire avaler le fond beaucoup plus original, avec un abécédaire du ramen parfait et des rencontres improbables (par exemple cette incroyable bande de clochards gourmets qui lui parlent de bœuf bourguignon, de « Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande », tout ceci dans un esprit Monty Python et Chaplin-esque).

Goro est le cavalier solitaire des Westerns, prêt à secourir la demoiselle en détresse (dans ce cas, la détresse vient de l’impossibilité de faire un bon ramen), leur relation est ambiguë, mentor/élève, amants…

On peut donc rapprocher l’épopée de Tampopo de plusieurs genres cinématographiques bien connus, le Western, le film d’Aventure, la Comédie classique, la Comédie absurde, mais c’est à travers les scènes qui entrecoupent ce premier axe que le réalisateur évoque frontalement son amour du 7ème Art.

Tampopo

Revenons en arrière, le film commence par un jeune-homme en costard blanc (un gangster ? un yakuza ?) qui emmène une jeune femme au cinéma. Rapidement il s’adresse à nous: « Vous aussi vous allez voir un film ?… » le ton est donné, on pense au Films Noir, à la Nouvelle Vague. Puis le jeune homme d’enchaîner sur une diatribe du bruit que fait le mangeur de chips dans la salle de ciné. Car les choses sont claires ; on aime manger, on aime voir des films, mais on respecte le cadeau que l’on offre à nos sens, on ne consomme pas de manière abrutie un spectacle en s’empiffrant.

J’aimerais dire que c’est ma scène préférée du film (oui, je suis moi aussi particulièrement sensible aux autres spectateurs dans la salle obscure), mais il y en a tellement d’autres que je ne pourrais me restreindre à un plat préféré.

Tampopo

Comment ne pas parler de cette scène incroyablement érotique où ce même jeune-homme dépose délicatement un jaune d’œuf cru dans sa bouche pour le glisser dans un jeu de va et viens avec sa partenaire, le jaune toujours intacte passant de bouche en bouche, l’effleurement des lèvres, des langues et de cette fine membrane prête à éclater à tout moment…

Tampopo

D’autres scénettes présentent des personnages non-récurrents, elles sont construites comme des sketchs, un peu à la manière du Fantôme de la Liberté de Luis Buñuel, dont l’influence est manifestement présente à travers ce film. Je pense à la scène où des jeunes filles japonaises tentent, tant bien que mal, à apprendre à manger des spaghetti à l’européenne, sans faire de bruit (il est au Japon coutumier d’avaler les nouilles en les aspirant à grand bruit, les anglais ont d’ailleurs un magnifique mot dont le son évoque à lui tout seul cette façon de manger « to slurp »).

Je pense également à cette scène muette où une vieille femme tâte à n’en plus finir tous les produits « mous » d’une supérette (pêche, camembert…), poursuivie par le caissier abasourdi…

Je pourrais évoquer de nombreuses scènes, la plupart drôles, absurdes, certaines plus douces et tristes, toutes en rapport avec la nourriture, toutes en rapport avec le cinéma… Mais je vais arrêter là pour aujourd’hui, je pense qu’il vous reste largement de quoi vous mettre sous la dent en découvrant ce film et j’espère sincèrement vous avoir mis en appétit, car Tampopo est un film que tout amateur de plaisirs gustatifs se doit d’avoir vu.

Tampopo

Tampopo (1985)
écrit et réalisé par Jûzô Itami
avec : Nobuko Miyamoto, Tsutomu Yamazaki, Ken Watanabe.