Entre les Bras
on s'y sent bien
Tout le monde connaît Michel Bras. Si vous êtes gastronome vous rêvez depuis longtemps de goûter (si ce n’est pas déjà fait) à son fameux Gargouillou, cette assiette baroque mêlant (selon les saisons) plus d’une quarantaine de légumes, herbes et fleurs, tous cuits séparément, différemment, au plus juste, au plus précis. Si vous n’êtes pas gastronome, il y a tout de même fort à parier que vous avez mangé au moins une fois dans votre vie un coulant au chocolat (ou mi-cuit), ce gâteau au chocolat individuel qui dégouline voluptueusement dans l’assiette quand on y plonge sa cuillère, car c’est Michel Bras qui en 1981 a inventé ce dessert que l’on retrouve aujourd’hui un peu partout.
Le film Entre les bras, réalisé par Paul Lacoste, est un magnifique documentaire s’immisçant dans la vie de Michel et de son fils Sébastien (dit Séba) au moment où le père s’apprête à lui passer les rênes de son restaurant trois étoiles de Laguiole.
L’histoire est racontée en quatre chapitres reprenant les quatre saisons, ponctuées de plans fixes et amples sur la nature sereine de l’Aubrac. Cette nature est la principale source d’inspiration pour Michel Bras qui dessine ses assiettes non pas comme un peintre mais bien en tant que peintre. Croquis préparatoires, choix des couleurs et des formes, comme le dit si bien Michel à son fils impatient de lui faire manger sa dernière création « [La nourriture] ça se regarde d’abord ». On peut tergiverser longtemps sur la place de la gastronomie parmi les arts, mais ce qui ne fait aucun doute c’est que ce Chef ne se pose pas ce genre de question, il pense son assiette comme un peintre sa toile, sa manière de s’inspirer de la nature me rappelle fortement un documentaire sur le peintre Tal Coat, son approche de la cuisine est profondément artistique.
Et c’est justement là que ça se gâte pour Sébastien, parce que reprendre une entreprise familiale c’est délicat, reprendre une entreprise familiale à succès c’est difficile, mais poursuivre un travail d’artiste…
Sébastien a un énorme poids sur les épaules, il doit reprendre un restaurant qui a trois étoiles au guide Michelin, conserver la qualité des plats, du service, mais aussi s’affirmer, ne pas reproduire inlassablement les mêmes choses, car comme il le dit lui même on n’est pas au Japon, et si là-bas la fierté d’un fils serait de continuer la tradition familiale centenaire, en occident notre culture lui préfère l’épanouissement de soi, trouver sa propre place.
Un plat que Sébastien Bras développe devant les caméras sert de fil conducteur au film dont le sujet central est avant tout la relation père-fils. D’ailleurs ce plat, qui finira par s’appeler « Cheminement », est une tentative de passer du salé au sucré, un passage d’une ère vers une autre.
Énormément de non-dits, de silences, des moments d’émotion, d’humilité vont au delà de ce que pourrait offrir un film centré sur la gastronomie. Pourtant on ne tombe pas non plus dans le consensuel, diriger une cuisine de ce calibre c’est du travail, de la concentration et on voit bien que si la famille Bras sait rester humble et humaine, ce n’est pas donné à n’importe qui de mêler aussi harmonieusement exigence professionnelle et vie de famille.
Certaines scènes du film sont cocasses, font rire (la relation un peu moqueuse du père avec le fils bien sûr, mais aussi le pauvre grand-père Bras qui a bien du mal à en placer une lorsque sa femme veut parler…). On ressort de ce film avec un sourire donc, avec faim aussi et avec l’envie de ne pas faire les choses à moitié, de se donner pleinement à ses passions, de vivre.
Entre les Bras (2012)
écrit et réalisé par Paul Lacoste
avec : Michel Bras, Sébastien Bras.
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